SARAH BERNHARDT
1844-1923
Sarah Bernhardt est une actrice, peintre et sculptrice française. Elle est considérée comme une des plus importantes actrices françaises du XIXe et du début du XXe siècle. Célèbre pour ses inimitables dons de comédienne et sa voix d’or, elle était surnommée “la divine”.
Le 28 aout 1878 L'impératrice du théâtre, Sarah Bernhardt est passée à Emerainville
En août 1878 Pendant l ‘exposition universelle la grande actrice Sarah Bernhardt, monta chaque jour dans le ballon captif d’Henri Giffard à cinq cent mètres au dessus des tuileries. Le ballon est alors considéré comme un transport dangereux. Elle est considérée comme extravagante et femme libérée.
Le 28 août 1878 Sarah Bernhardt monte en ballon libre ( Le Dona Sol ) avec son ami le peintre Georges Clairin* et l’aéronaute Louis Godard**. Elle fit paraître dès le lendemain un récit de ce voyage, illustré de spirituels croquis de Clairin* sous ce titre «Dans les nuages – impressions d’une chaise». C’est la chaise qui raconte , mais c est la tragédienne qui tient la plume, et avec beaucoup d’esprit.
La fin du voyage se passa du coté de berchéres ( Pontault Combault ). Une heure après le petit groupe arriva à la gare d’Emerainville où le chef de gare fit servir un petit repas frugal immortalisé par un croquis de Clairin*.
*Georges Jules Victor Clairin (1843 – 1919 est un peintre et illustrateur français.
Il est connu surtout pour ses portraits de Sarah Bernhardt, à laquelle il est lié par une longue amitié et qu’il dépeint dans nombre de rôles dans lesquels elle s’est illustrée.
**Louis Godard fils (1858–1933), un des meilleurs constructeurs de ballons de son temps.
Extrait du livre "dans les nuages - Impressions d'une chaise "
L’extrait commence à la page 45, l’aéronaute Louis Godard propose à 7H15 du soir de commencer à descendre le ballon en vue d’un attérissage
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Le soleil s’était décidément couché. Il était sept heures et quart. La nuit couvrait ses épaules de son brun manteau. L’aérostat était à 2,600 mètres. C’était le plus haut que nous fussions encore montés. La terre avait complètement disparu. Une poésie un peu triste nous enveloppait. Doua Sol et Georges Clairin chantèrent une ballade bretonne. Je commençais à m’endormir, me laissant aller à une douce somnolence, quand la voix de Louis Godard me fit tressauter.
– Allons! allons! il faut songer à descendre. Jetons le guide-rope.
– Comment! déjà ? s’écria la voyageuse. Quel dommage!
– Oh ! oui, oui, il se fait tard. Il s’agit de descendre d’une façon tout artistique. Au guide-rope ! fit-il, en détachant une corde.
– Au guide-rope, au guide-rope ! répétèrent les deux jeunes gens.
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Je regardai ce que pouvait être ce guide-rope et je vis se dérouler une longue corde à laquelle étaient fixés de petits crampons de fer de distance en distance. Le jeune peintre et la comédienne se mirent courageusement à l’œuvre pour aider l’aéronaute. La corde avait 120 mètres de long. Godard, penché en dehors de la nacelle, la regardait se dérouler, pendant que Clairin et Dona Sol la faisaient glisser doucement entre leurs mains, arrêtant son essor trop violent et riant quand l’un d’eux s’était piqué aux crochets. Enfin, la corde déroulée, Godard prit la longue-vue.
— Diable! voilà bien des arbres, murmura-t-il.
En effet, à ce moment le ballon était au-dessus d’un très- petit bois; en face une plaine, et puis des bois à perte de vue. Après s’être orienté, l’aéronaute déclara qu’il fallait absolument descendre dans la plaine, sinon nous risquions de faire une descente en pleine nuit au milieu des bois de Ferrières. Il fallut prendre un parti. Dona Sol eut le grand plaisir d’ouvrir toute grande la soupape. Le gaz s’échappa du ballon d’un petit air moqueur en sifflant. Puis la soupape refermée, nous descendîmes .assez rapidement. Quand nous fûmes à 5oo mètres, Louis Godard sortit d’une de ses poches (véritables magasins) une petite trompe et se mit à souffler dedans avec violence.
— Ah! mon Dieu! je manque mon entrée, s’écria Dona Sol.
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Et, perdant la tête, elle allait se précipiter dans le vide; mais Clairin l’arrêtant :
– Calmez-vous, lui dit-il ; ce n’est pas Hernani qui appelle, c’est le chef de gare.
Tous trois se mirent à rire. En effet, nous avions pendant cet incident traversé un petit hameau, à cheval sur la lisière du bois et nous nous trouvions au-dessus de la ligne de l’Est.
Cela était d’un effet bien curieux : la ligne noire serpentant en tous sens, réveillée par les cordons d’acier, le silence partout et puis tout à coup un monstre formidable arrivant à fond de train avec deux yeux flamboyants de colère, crachant des flammes de sa gueule de fer et formant avec sa chaude haleine des bataillons de nuages qui s’enlèvent hardiment vers le ciel.
Le chef de gare, voyant un ballon et comprenant à l’heure tardive qu’il voulait atterrir, avait appelé les hommes d’équipe afin qu’ils portassent secours, le cas échéant.
– Où sommes-nous? cria Louis Godard dans la trompe.
– A u—u—u… ille, répondit le chef.
Impossible de comprendre.
– Où sommes-nous? cria Clairin à son tour d’une voix terrible.
– A u—u—u… ille, hurla le chef entre ses mains.
– Où sommes-nous? chanta la voix aiguë de Dona Sol.
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— Au—n—u… ille, répondit toute la bande.
Rien, rien !
Il fallut lester le ballon. Nous descendions trop vite et le vent nous repoussait dans le bois que nous venions de quit-
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ter. La nuit s’avançait : nous remontâmes vers le ciel. Il était bleu sombre, tout tacheté de nuages gris. Après dix minutes de route, la soupape de nouveau ouverte nous fit redescendre. L’aérostat était à droite de la gare et très-éloigné de son complaisant chef.
– A l’ancre, maintenant ! dit le jeune Godard. Et une nouvelle corde fut suspendue dans les airs. Au bout était accrochée une ancre formidable. La corde mesurait 80 mètres. Les bruits arrivaient de terre, confus, mais aigus. Je ne pouvais comprendre ce que je voyais grouiller au-dessous de moi.
– Ah ! mon Dieu ! quel troupeau d’enfants! s’écria dona Sol.
En effet, nous étions suivis par des enfants qui, escaladant les haies, traversant les champs, couraient après le ballon, depuis sa halte au-dessus de la gare.
Nous n’étions plus qu’à 3oo mètres de terre.
La trompe fit son office :
– Où sommes-nous ?
– A Verchères, cria la joyeuse bande.
Il fallut le leur faire répéter plusieurs fois.
– Où est-ce Verchères ? interrogea Clairin.
– Je ne sais…
– Ni moi…
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– Bah ! Nous verrons bien.
Le ballon descendait toujours, mais doucement.
L’ aéronaute jetait du lest, puis ouvrait la soupape ; enfin il opéra cette descente d’une façon remarquable, et, bien que l’opinion d’une chaise de bois lui importe peu, je lui fais quand même mes compliments.
Des paysans étaient accourus. La nuit estompait le paysage et tout prenait un aspect plus dramatique.
– Allons, vous autres, là-bas, prenez la corde qui traîne, et surtout ne tirez pas trop fort.
A ce moment je regardai le ballon et je fus frappée de stupeur. Lui, si rond tout à l’heure, était maintenant allongé, fripé. Il balançait le bas de sa jupe au-dessus de la nacelle. Oh ! il était bien vilain !
Les paysans s’étaient saisis de la corde et allaient la tirer à eux quand l’aéronaute leur cria de n’en rien faire.
– Ah ! ne tombons pas dans la mare !
En effet, au-dessous de nous une petite marc nous menaçait : en quelques minutes elle fut dépassée.
– Allez, maintenant, les enfants, à la corde et doucement.
Cinq hommes vigoureux prirent la longue corde. Nous étions à 120 mètres de terre, et je vous assure que, pour une chaise qui n’a jamais voyagé, c’était un spectacle bien étrange. La nuit maintenant nous enveloppait. Rien ne
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gardait son aspect réel. Les paysans nous semblaient être des géants, les enfants paraissaient lilliputiens. Cependant des femmes étaient arrivées aussi; puis au milieu de ces tètes, qui nues, qui recouvertes de foulards ou de bonnets,
trois chapeaux melons s’épanouissaient dans leur importance comme couvre-chefs de propriétaires.
Le jeune Godard donnait des ordres, ayant l’œil à droite, à gauche, partout; encourageant les travailleurs :
— Bravo, les amis… parfait… doucement. Comportez-
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vous en chevaliers français; il y a une dame dans la nacelle.
– Une dame! crièrent en chœur les paysans…
– Une dame! répéta l’écho…
– Une dame! coassèrent les grenouilles dans la mare…
Et la foule se précipita vers le ballon. L’un des curieux, plus pressé que les autres, frotta une allumette. Le jeune aéronaute poussa un rugissement de colère.
– Eh bien! mon brave, si vous en avez une autre, allumez- la aussi, et venez nous faire tous sauter.
Un cri général accueillit cette boutade, et l’imprudent curieux fut injurié, bousculé et repoussé au loin.
Cependant la foule s’était éloignée avec effroi, et, sans l’ancre qui s’était fichée en terre, nous repartions pour les airs. Enfin, la curiosité étouffant la crainte, ils revinrent en masse.
– Prenez les cordes et tenez-vous sur la pointe des pieds, Mademoiselle, dit Godard à la comédienne; surtout n’ayez aucune crainte, je vous ferai atterrir sans secousse.
Il tint parole. Grâce à son habile manœuvre, la nacelle toucha terre comme un oiseau se pose. Je craignais de briser mes quatre jambes de bois, en frappant contre le sol ; il n’en fut rien. Je restai suspendue à la nacelle sans ressentir la moindre oscillation.
– Voilà la dame, voilà la dame! s’écrièrent les enfants.
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– Voyons comme qu’elle est? disaient les femmes.
Un enfant m’aperçut.
– Ah ! une chaise pendue à l’envers du ballon. Quelle drôle d’idée, une chaise en ballon !
– C’est pour l’équilibrer, fit un chapeau melon.
Georges Clairin sauta à terre, et voulut enlever Dona Sol.
– Mais non, mais non, je ne veux pas descendre… On m’a promis un petit traînage… je veux mon petit traînage.
– Ah ! ce sera pour la prochaine fois, Madame. Les éléments sont contre vous. Il faut accepter aujourd’hui cette banale descente.
Dona Sol se laissa enlever en soupirant ; le peintre la posa doucement à terre et la foule l’entoura aussitôt.
– Ah ! la Madame, disait une fillette en touchant sa robe.
– Ah ! sainte Marie ! c’est moi que je ne confierais pas ma peau à c’te machine, dit, en se signant, une vieille paysanne ridée, courbée, noircie.
– Ce serait dommage, la mère; le pays perdrait son plus beau morceau et monsieur le curé sa plus jeune brebis.
La petite troupe éclata de rire.
Dofia Sol avait été remplacée dans la nacelle par un grand gaillard. 11 en fut ainsi de chaque voyageur. Mais vraiment c’était inutile pour la jeune femme. Elle lestait plutôt le ballon qu’elle ne le chargeait. Les trois paysans tenus par
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les cordes furent enlevés à quelques mètres du sol, à la grande joie des assistants. Les bottes, le panier et moi étions toujours suspendus. Enfin l’aérostat toucha décidément terre. Georges Clairin vint me détacher et me porta dans le champ. Doua Sol s’assit sur moi et mit ses petites bottes. La terre était trempée, et les foins coupés m’entraient dru dans les bois.
Les trois chapeaux melons s’approchèrent en discutant tout bas.
– Je vous assure que c’est elle, dit une voix jeune et fraîche.
– Mais non, mais non, répliqua une voix gourmée.
– Peut-être, murmura le troisième chapeau.
– J’ai reconnu sa voix.
Et le jeune homme, s’approchant de la jeune femme, la salua, disant :
– C’est un grand bonheur pour notre modeste village, Mademoiselle, que de recevoir Dona Sol.
– Vous me reconnaissez donc, Monsieur? et comment cela? On y voit à peine.
– A votre voix, Mademoiselle.
– Ah ! vraiment? Cela me fait grand plaisir, cl je suis très flattée, Monsieur.
Le deuxième chapeau s’approchant :
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– Et pourquoi cela, Monsieur?
– Parce que vous avez refusé l’invitation que j’avais eu l’honneur de vous faire.
– Ah! mais, je ne comprends pas du tout…
– Ni moi, ajouta le plus jeune…
– Ni moi.
– Ni moi.
– C’est bien simple pourtant, voilà : le ballon passait, il y a une heure à peu près, au-dessus de ma propriété; car je suis propriétaire, Mademoiselle, le plus grand propriétaire du pays. J’avais du monde à dîner : nous sortîmes pour voir le ballon et je reconnus de suite Mademoiselle.
La jeune femme étouffa son rire.
– Ah ! bah ! dit Clairin, d’un air goguenard. C’était vous, Monsieur, qui faisiez des signaux? Ah! je vous remets très- bien… Oh! très-bien.
– Voyez, dit le propriétaire rayonnant aux deux autres chapeaux stupéfaits.
L’obscurité aidant, chacun dissimula, et il put continuer.
– J’ai donc reconnu Mlle Dona Sol et je fis des signaux, comme le disait à l’instant M. Godard que j’ai aussi reconnu.
– Ah! moi aussi, Monsieur? murmura Clairin.
– Oui, monsieur Godard, tout de suite; Je fis donc des
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signaux et j’espérais que le ballon allait descendre dans mon parc, et que j’aurais l’honneur de vous avoir à ma table. Mais on lança du ballon un inconcevable pi-ouït… et l’aérostat s’éloigna. Voilà, Mademoiselle, en quoi j’ai droit de vous en vouloir un peu.
Tout cela fut dit d’un ton empesé, avec un accent nasal et grave. Enfin, il parait que c’était absolument la copie du fameux acteur Baron. A ce moment le jeune Godard se joignit à nous, et, craignant qu’il ne gâtât tout, Dona Sol s’écria en le présentant :
– Voici M. Clairin, notre compagnon de route.
– Ah! parfaitement; M. le directeur n’a pas voulu laisser sa sociétaire courir seule les dangers d’un voyage dans les airs. Eh bien! Monsieur Perrin, je vous fais tous mes compliments.
Le jeune Godard, pris à l’improviste, allait répondre ; mais, craignant de se trahir, il bondit comme une chèvre au-dessus du petit mamelon, en s’écriant :
– Allons, les enfants, au ballon! il faut dégonfler le ballon.
Il est très gai, M. Perrin, dit le faux Baron… très gai… et bien jeune. Il doit être aimé.
– Oui, Monsieur, très-aimé.
Un cri général arrêta cette bizarre conversation. Le ciel
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venait d’ouvrir toutes ses écluses. En un instant nous fûmes absolument inondés. J’enfonçais dans la terre. Doua Sol se leva et, s’enveloppant de fourrures, elle voulut rester debout.
– Mais vous allez être trempée, Mademoiselle, dit le jeune homme désolé.
– Oh! n’ayez crainte, Monsieur. Je suis si mince que je passe entre les gouttes.
Les femmes, les enfants, couverts seulement de leurs camisoles, mirent leur jupon sur leur tète. Une fillette de dix à douze ans, oubliant qu’elle n’avait que ce jupon pour la couvrir, resta nue à partir de la ceinture, et, malgré l’observation qui lui fut faite, elle persista, prétendant qu’on n’y voyait pas clair.
Tous les enfants s’étaient groupés autour de la jeune femme qui en abritait trois sous son large manteau. Georges Clairin et Godard travaillaient au ballon, aidés par une vingtaine d’hommes.
Le spectacle était bizarre. Le champ dans lequel nous étions étant fort grand, l’horizon ne nous apparaissait que lointain. Le ballon, couché à terre, respirait fortement. Les hommes pressaient ses flancs et le gaz s’échappait comme un souffle puissant. On eût dit une tortue gigantesque râlant. Les mailles du filet, estompées par la nuit, complétaient l’illu-
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sion en formant les écailles de la bête. Les hommes étaient trempés tant de sueur que de pluie. Dona Sol fut très touchée de l’attention d’un garçonnet qui avait été lui chercher un parapluie. Elle s’en servit pour abriter quelques marmots et surtout le petit commissionnaire qui était en nage.
– Mais on est très-galant dans ce petit pays, fit-elle en souriant.
Alors le troisième chapeau, s’approchant, fil entendre sa voix. (Il n’avait encore dit que : Peut-être!) Mais, heureux de se présenter enfin, il chanta d’une voix douce et lente :
– Oui, Mademoiselle, vous avez bien raison. Ce pays est le foyer des mœurs simples et aimables. Tous ces braves gens s’aiment entre eux et se soutiennent. Ainsi ce petit que vous caressez si gentiment, il est orphelin. Mais tous les paysans sont pour lui son père et sa mère et le berger l’a recueilli.
– Et vous, Monsieur?
– Moi, je les encourage, Mademoiselle. Je suis le plus ancien propriétaire du pays : ils sont tous mes enfants, et cette commune sera riche après ma mort.
– Mais non, Monsieur, je ne suis pas orphelin… papa n’est pas mort.
– Non, mon petit homme, non ; mais cela ne tardera pas, car ton cher père sera guillotiné.
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Je tressautai de terreur. Dona Sol réprima un mouvement d’effroi; l’enfant se prit à pleurer, et le troisième chapeau, heureux de l’effet produit, continua son chant monotone :
– Hélas! oui, c’est une bien triste histoire. Le cher père de cet enfant a tué sa bonne mère il y a un mois. Et du reste, tenez, Mademoiselle, le crime a été commis juste à la place où se trouve cette chaise.
Je bondis de frayeur : le demi-orphelin qui avait grimpé sur moi fut jeté par terre.
-Ah ! tenez, tenez, c’est très-drôle…. ce que c’est que le hasard, l’enfant y est tombé en plein. Oui, c’est à cette meme place que la malheureuse femme fut assassinée.
– Et comment cela? demanda Dona Sol après avoir ramassé l’enfant.
– Oh ! c’est bien simple, Mademoiselle. Ces jeunes gens ne s’aimaient plus. Le mari surtout voulait prendre une autre femme. Cela se peut quand on est célibataire comme moi; mais le mariage est absolu, et puis à la campagne on n’est pas assez riche pour se séparer. Bref, un matin que la pauvre femme venait d’apporter le déjeûner de son homme qui fauchait le même foin dont voici les racines, ce dernier lui envoya un coup de sa faux; mais cela ne fit qu’entamer la jambe. Ni l’un ni l’autre n’en dirent mot. Quelque temps après ils revinrent ensemble pour charger les bottes qu’il
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fallait rentrer. La femme était là près de la voiture, et, lui, jetait les bottes de là-bas. A la cinquième il lui cria : «Tiens, la mère, pare celle-là… » et il lança la fourche qui s’enfonça dans le cou de la malheureuse femme. C’est le berger, caché dans ce petit bois, qui a vu et raconte la chose.
Pendant ce triste récit, les femmes s’étaient reculées progressivement de l’endroit du crime. Les enfants consternés écoutaient la voix traînante chantant la triste odyssée. Le ballon lui-même prit un air dramatique. Pressé par des mains vigoureuses, il s’était aplati, écrasé. Il passait dans ce corps mutilé quelques derniers souffles de gaz qui soulevaient sa poitrine. Mais il finit par s’assoupir, ayant l’air d’un boa au repos. La pluie ne cessait de tomber. Dona Sol s’informa par quel train on pourrait revenir.
– Oh ! seulement par le train de dix heures, parce que la gare est à une heure d’ici en voiture. Et, comme il n’y en a pas, il faut compter deux heures à pied en marchant vite.
– Mais c’est impossible ! s’écria Clairin. Jamais Mademoiselle ne pourra marcher jusque-là.
– Il doit y avoir un autre moyen, répliqua la comédienne.
Et, cherchant du regard le jeune premier chapeau, elle sembla contrariée de ne le point voir.
— Ah! il est allé se coucher, le jeune agriculteur, dit la voix gourmée. De mon temps on était plus galant.
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– On est aussi galant, mais plus pratique, cher Monsieur, dit le jeune accusé en sautant lestement d’une voiture qui venait d’arriver sans que nous l’ayons entendue. Je viens de chez moi où j’ai fait atteler deux voitures, une pour Mademoiselle et ses compagnons, l’autre pour les dépouilles du ballon.
Dona Sol tendit la main au jeune homme en le remerciant.
– Ma foi ! vous nous sauvez, dit Georges Clairin. Il paraît que les chemins ne sont pas faciles.
– Oh ! il eût été impossible à des pieds de Parisienne de faire seulement la moitié de la route.
Pendant ce petit épisode, Godard avait fait rouler le ballon et l’avait fait mettre dans la nacelle avec son guide-rope, son ancre et ses cordes. La seconde voiture étant arrivée, il fut hissé péniblement. Pauvre ballon! lui si gai, si pimpant il y a quelques heures, il était maintenant tout froissé, tout refoulé au fond de son panier. Sa belle couleur orange a disparu sous la pluie qui continue tapageuse et féroce. Tout le monde est silencieux. C est le service funèbre d’une partie de plaisir.
Alors Louis Godard, prenant un air solennel :
– Ecoutez-moi tous, dit-il.
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On s’approcha de lui.
-Voilà ce que doua Sol et Georges Clairin vous prient d’accepter pour boire à la santé de M. Giffard.
Hommes, femmes, enfants, se ruèrent sur le jeune capitaine.
– A moi! à moi, Monsieur…
Et les mains se tendent.
– Quel est le. plus âgé d’entre vous?
– C’est moi, Monsieur.
– Non, c’est moi !
Un peu plus les enfants auraient juré qu’ils avaient quatre- vingts ans.
– Donnez-moi ça, dit une basse-taille effrayante. Je vais tous les régaler ce soir, et demain on déjeunera avec les restes.
C’était l’unique gargoticr du village qui parlait ainsi. La proposition fut acceptée et l’argent remis entre scs mains. Alors la petite troupe nous souhaita bon voyage, et tout ce monde disparut à travers champs. On eût dit une nuée de moineaux, à laquelle on jetait des pierres.
Tout le monde s’était approché de la route, et j’étais restée seule dans le champ meurtrier. Doua Sol montait en voiture, quand, se retournant tout à coup :
– Ma chaise, dit-elle, où est ma chaise? Je la veux.
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– Bah! elle fera demain le bonheur d’un paysan. Laissez la donc, dit Louis Godard.
– Non! non ! je l’aime, celle chaise; qu’on me l’apporte.
La joie me donna un battement de cœur, et, quoique ne comprenant rien à celle tendresse subite, j’oubliai mes griefs et me repris à l’aimer. Après m’avoir cherchée quelques instants, Clairin me transporta dans la voiture près de la jeune femme.
– Pauvre chaise! comme elle est trempée! dit-elle, en essuyant et ma pluie cl mes larmes.
Car je pleurais comme une bête : j’étais nerveuse.
La voiture dans laquelle je me trouvais était un élégant char-à-bancs.
Dona Sol avait pris place dans le fond ; à côté d’elle Clairin, en face moi, couchée sur une banquette. Dans le coin, Louis Godard, fatigué, faisait vis-à-vis au Monsieur gourmé. Le troisième chapeau était parti seul à pied. Le jeune homme sur le siège conduisait, ayant à ses côtés nos couvertures, le panier ventru et l’orphelin qu’on devait déposer chez le berger en passant. La jument grise partit à fond de train, laissant bien loin derrière nous la voiture qui portait le défunt ballon.
La conversation était languissante. La pluie ne cessait de tomber; les chemins étaient très-mauvais, la nuit était noire
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pas une maisonnette éclairée. Il faisait froid ; il faisait faim, paraît-il. Chacun commençait à somnoler, lorsque la voilure s’arrêta brusquement et le jeune agriculteur s’adressant à Dona Sol :
— Voyez-vous, Mademoiselle, cette petite cahute cachée sous les bouleaux? Elle est habitée par une pauvre folle bien intéressante. Elle perdit, il y a vingt-deux ans, un fils de sept ans qu’on avait surnommé le Rossignol dans le pays, tant il chantait joliment. La malheureuse mère, depuis ce temps,
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passe ses journées, hiver comme été, qu’il pleuve, qu’il gèle ou que le soleil brûle, à chercher clés petits vers, des chenilles et des fourmis dont elle emplit sa maison, et la nuit elle se promène en appelant son fils et semant le long de sa route son étrange récolte. Ecoutez , dit-il.
Une voix triste et vacillante s’éleva dans la nuit : — Rossignol, rossignol, rossignol, viens, petit!
Une ombre sortit du taillis, longea la haie et entra dans un champ, dessinant sur l’horizon sa grande ligne un peu courbée. Les épaules moitié nues étaient mordues par la pluie ; le bras se balançait en cadence, jetant sa semaille de chenilles et de fourmis, et l’ombre disparut dans la nuit. — Rossignol, rossignol! gémit encore la voix. Puis le silence se fit.
– Pauvre, pauvre mère ! murmura la comédienne. Elle essuya une larme du bout de son doigt ganté et la voiture repartit bondissante et joyeuse.
Nous entrions dans le village.
La voiture fit halte devant une grille et le monsieur gourmé descendit.
– Je suis arrivé chez moi. Je vous souhaite bon voyage, Mademoiselle. Monsieur Perrin, monsieur Godard, je vous salue. Et il entra gravement dans son parc. Nous continua-
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mes alors notre route. — Stop! nous voici enfin à la gare. Tout le monde descend; la jeune femme me prend sous son bras et nous entrons.
– Tiens, monsieur Godard ! s’écrie le chef de gare.
– Ah! Mademoiselle Dona Sol !…
– Mais vous connaissez donc tout le monde? interrogea Clairin.
– Ah ! Monsieur, j’adore les ballons et je raffole du théâtre. Mais entrez donc dans mon bureau, il y fait plus chaud qu’ici et Mademoiselle doit être glacée.
L’aimable homme nous installa chez lui.
– Où sommes-nous ici?
– A Emerainville. — C’est bien vous que j’ai aperçus vers les sept heures, n’cst-ce pas? J’ai cru que vous alliez descendre ici. .
– Ah ! bah! c’est à vous que nous avons demandé…?
– Oui… oui… le pays… je vous l’ai crié tant que j’ai pu, mais j’ai compris que vous n’entendiez pas.
– Ah ! Monsieur est artiste? dit-il, en voyant Clairin faire un croquis.
– Oui, je suis peintre.
– Oh! quelle joie pour moi de recevoir des artistes!… Je les adore, Monsieur, je les adore.
– Est-ce qu’il n’y aurait pas moyen de manger quelque
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chose et de boire un verre d’eau? Je meurs de faim et de soif, dit Godard.
– Mais si; je vais vous chercher cela.
Quelques instants après un enfant apportait du pain, du fromage et du cidre.
– Ah! mais, je n’aime pas le fromage, moi, objecta Dona Sol.
– Bah! pour une fois, vous l’aimerez, répondit Clairin.
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-Mais cela sent mauvais…
– Mais non ; soyez donc simple, chère Madame, personne ne vous regarde.
La jeune femme envoya un coup de badine à son compagnon, et elle se mit bravement à manger du pain et du fromage.
Pendant ce repas un peu frugal, le propriétaire des voitures veillait au débarquement du ballon. La nacelle, emplie par les dépouilles de l’aérostat, fut descendue et mise en dépôt à la consigne. Pauvre fils des airs! prisonnier dans une cage et revêtu de l’insigne des colis.
Le train était très en retard ; mais le chef de gare nous dit que cela était la faute aux prunes. — Pourquoi? — Mystère! — Enfin le sifflet se fait entendre; nous nous précipitons sur le quai, moi toujours portée par Dona Sol. On remercie le chef de gare pour son hospitalité. M. Clairin remet sa carte au jeune agriculteur qui l’échange contre la sienne, et Dona Sol, s’approchant de M. B***, lui témoigne sa gratitude pour tous les services qu’il a rendus et la bonne grâce qu’il a mise à les rendre.
Nous montons en wagon. Dona Sol met ses pieds sur moi : je les lui baise avec reconnaissance. Clairin s’allonge en face sur une banquette et Louis Godard se met à l’aise. Le train part : chacun sommeille ; et moi, j’essaie de ras-
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sembler de mon mieux mes esprits troublés par tant d’aven- turcs diverses. Hier encore, j’étais une chaise rêvant comme impossibles un tapis, un salon, une voiture, un petit voyage; et, depuis hier, j’ai passé ma nuit sous un hangar fantastique, j’ai traversé une foule nombreuse qui m’acclamait, je suis montée en ballon, je suis restée une heure dans un champ témoin d’un crime horrible, je suis allée en voiture, j’ai vu une folle; enfin, je roule en chemin de fer!!! Que va-t-il m’arriver? O Vierge à la chaise, protégez-moi !
Fin de l’extrait